Franck Morel

Franck Morel - Interview portrait

Avocat, conseiller ministériel, inspecteur du travail et auteur, Franck Morel a dédié sa carrière au service du droit du travail.

Des amphithéâtres universitaires aux prestigieux cabinets d’avocats, en passant par Matignon, il n’a eu de cesse de penser et de façonner les politiques de l’emploi.

Conseiller au sein du cabinet de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, il fut l’un des acteurs majeurs des réformes sociales du précédent quinquennat.

Aujourd’hui, avocat associé chez Flichy Grangé Avocats, il poursuit son engagement en intervenant auprès des entreprises et des organisations professionnelles sur les enjeux stratégiques du droit social.

Dans cet échange, Franck Morel revient sur les choix qui ont jalonné son parcours et livre les enseignements tirés de son expérience.

Cet entretien intervient en amont de la sortie, à l’été 2025, de son prochain livre sur le travail, co-écrit avec Bertrand Martinot.

UNE VOCATION PRÉCOCE

Vous vous êtes engagé en politique très jeune. Pourquoi ce choix ?

Enfant, j’étais passionné d’histoire. Cette passion s’est très vite transformée en intérêt pour l’épopée gaulliste et en adhésion à ces valeurs.

De fil en aiguille, j’ai rejoint les Jeunes du RPR. J’ai participé aux universités d’été où l’on scandait : « Chirac président, Seguin Premier ministre ». C’était en 1987, j’avais 19 ans.

Un jeune élu encore peu connu à l’époque nous avait encouragés à nous engager. Cet élu, c’était Nicolas Sarkozy .

J’ai aussi rencontré René Caille, un ancien député gaulliste, qui m’a pris sous son aile et m’a inscrit sur sa liste municipale avec Michel Noir. À 20 ans, en 1989, j’ai été élu. J’étais alors le plus jeune élu municipal de Lyon et encore étudiant.

RÉFORMER LE TRAVAIL

Vous avez participé à l’élaboration d’une quinzaine de réformes du travail et de l’emploi. Laquelle vous rend le plus fier ?

La réforme dont je suis le plus fier, c’est celle de la représentativité syndicale de 2008. Je pourrais aussi citer la réforme du temps de travail et les ordonnances de 2017, avec par exemple la création de la rupture conventionnelle collective et l’instance unique de représentation du personnel.

Vous avez co-écrit avec Bertrand Martinot “Un autre droit du travail est possible”. Si vous pouviez mener aujourd’hui une grande réforme du droit du travail, laquelle serait-elle ?

Je continuerais d’élargir la place de la négociation collective, un grand acquis des ordonnances de 2017.

Je travaillerais aussi à développer davantage les différentes formes d’activité : le portage, les plateformes, les contrats de mission. Il faut créer de la souplesse avec des garanties pour répondre aux évolutions du monde du travail.

AU CŒUR DE LA MACHINE ÉTATIQUE

Vous avez été conseiller de plusieurs ministres dont Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre du Travail, puis de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe. À quoi ressemblaient vos journées ?

La journée d’un conseiller, c’est de la veille (rencontrer des acteurs, lire des rapports), de la production de notes d’analyse ou d’action pour le ministre, et de la coordination avec l’administration centrale.

Vous préparez aussi les déplacements, les réponses parlementaires, et vous suscitez, organisez et suivez l’élaboration des textes.

À Matignon, vous présidez des réunions interministérielles. C’est une fabrique de l’arbitrage entre ministères. Il faut aller vite, bien comprendre les enjeux, et tenter de rendre les choses simples.

Dans les cabinets ministériels, on imagine souvent un univers très codifié. Comment décririez-vous les profils types que l’on y retrouve ?

On croise trois types de profils au sein des cabinets ministériels : les chiens, les chats et les singes. Les chiens sont fidèles, pas forcément techniciens, mais ils suivent leur ministre coûte que coûte. Les chats sont les experts de leur domaine. Ils se lovent dans leur expertise et peuvent passer d’un ministre à l’autre tant qu’ils maîtrisent leur sujet. Les singes, quant à eux, changent à la fois de domaine et de ministre, sautant de branche en branche.

Moi, j’étais plutôt un chat. Spécialiste des questions sociales, notamment du droit du travail, je suis resté avec plusieurs ministres successifs parce que je maîtrisais bien ces sujets. Je suis devenu un peu chien et singe avec le temps.

DU CONSEIL POLITIQUE AU BARREAU

Après avoir conseillé des décideurs politiques, qu’est-ce qui vous a conduit à embrasser la profession d’avocat ?

À la fin de mon expérience auprès des ministres, en 2012, il était temps pour moi d’élargir mon champ d’action. Je voulais continuer à m’investir dans les politiques sociales, mais sous un autre angle.

J’ai rencontré Jacques Barthélémy, un grand nom du droit du travail. Il m’a proposé de le rejoindre dans son cabinet.

Je lui ai répondu : « Mais Jacques, je ne suis pas avocat. » Il m’a expliqué qu’il existait une voie d’accès professionnelle à la profession compte tenu de mon parcours professionnel d’ancien inspecteur du travail et d’expert du droit du travail. Je me suis renseigné, j’ai réalisé les démarches et je suis devenu avocat. C’était un vrai tournant.

Voyez-vous des similitudes entre l’exercice de la politique et le métier d’avocat ?

Il y en a plusieurs. La plus évidente, c’est le fait de savoir convaincre et d’être dans une dynamique de proposition. Dans les deux cas, on vous expose un problème et on attend de vous une solution.

Et puis il y a une exigence de clarté, de pédagogie. Que vous vous adressiez à un ministre ou à un client, vous devez rendre accessible une matière souvent complexe. Ce sont deux univers différents, mais avec des points de convergence très concrets.

Enfin, dans les deux métiers, ce que je trouve passionnant, c’est la capacité à être un apporteur de solutions, à tracer des voies de passage dans des situations complexes, souvent sans réponse toute faite. Convaincre un juge de la pertinence de vos arguments ressemble aussi de manière différente au fait de convaincre divers acteurs du bien-fondé d’une réforme.

Actuellement, vous êtes associé chez Flichy Grangé Avocats ? Pourquoi avoir rejoint ce cabinet ?

A ma sortie de Matignon, Joël Grangé m’a proposé de rejoindre ce cabinet. Mes attentes étaient celles d’un cabinet avec une très forte exigence juridique, mais aussi une vraie dimension humaine, bienveillante.

Flichy Grangé réunit ces deux aspects : haute technicité et qualité relationnelle. C’est ce qui m’a attiré. Et c’est ce que j’essaie moi-même d’incarner auprès de mes clients et mes collègues.

Comment se déroule votre quotidien d’avocat associé ?

Il est très varié. Je passe d’un appel client à une réunion avec les collaborateurs du cabinet, à la rédaction d’une note stratégique, d’une étude, d’un article ou d’un contrat, puis à une intervention en formation, en conférence ou à une audience. Chaque jour est différent. Ce que j’aime : accompagner, sécuriser, faire avancer, expliquer, convaincre.

Quel type de dossiers traitez-vous le plus souvent ? Avez-vous un domaine de prédilection ?

Je suis très investi sur les sujets liés à la négociation collective, à la durée du travail, aux formes d’emploi dites atypiques — comme le portage salarial, les plateformes ou l’intérim — et à la formation professionnelle. Je travaille principalement avec des grands groupes du CAC 40, mais aussi sur des dossiers avec des branches professionnelles ou des organisations patronales ou des organismes divers.

Ce sont souvent des sujets où l’on croise des enjeux juridiques et des réflexions de politique publique. C’est la suite logique de mon parcours.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune avocat souhaitant se spécialiser en droit du travail ?

Ne cherchez pas à tout savoir sur tout. Choisissez un champ, même pointu, même aride, et visez l’excellence.

La spécialisation, c’est une force. Et puis, il faut aimer les gens, car le droit du travail, c’est du droit vivant, incarné. Il faut savoir écouter, comprendre, et traduire juridiquement.

Donnez-vous un objectif exigeant : une idée par dossier !

CONFIDENCES

Avez-vous eu un ou plusieurs mentors ? Qui vous ont inspiré ou vous inspirent encore aujourd’hui ?

Oui, plusieurs. Le premier, c’est René Caille, qui m’a transmis le goût des questions sociales et une vision romantique du gaullisme que je cultive.

Éric Aubry, avec lequel je suis devenu un spécialiste du droit de la durée du travail.

Xavier Bertrand, qui m’a beaucoup appris avec son esprit pragmatique et concret et  humainement ;c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’affection.

Edouard Philippe, réelle inspiration lorsque j’étais son conseiller avec un sens de l’état, une réelle écoute et ouverture aux idées et réflexions et une fulgurance de jugement; je l’accompagne encore aujourd’hui notamment comme cadre de son mouvement afin qu’il serve encore notre pays.

Jacques Barthélémy, bien sûr, qui m’a transmis une vision humaniste, contractuelle  et exigeante du droit du travail.

Ces figures m’ont marqué et continuent de m’inspirer par leur exigence et leur sens de l’engagement.

En regardant votre parcours, que diriez-vous au jeune Franck Morel qui débute sa carrière ?

Je lui dirais de rester ouvert. De ne pas avoir d’a priori trop figés. D’oser aller là où on ne l’attend pas forcément.

Je lui dirais de suivre ses convictions, de ne pas les brader, même si le parcours paraît parfois plus long. Le choix du cœur EST le choix de la raison. Et de toujours garder en tête le sens de nos actions : savoir pourquoi on fait ce qu’on fait.

Et surtout, ne jamais perdre la passion. C’est ce qui vous tient dans les moments difficiles, et c’est ce qui vous rend crédible dans les moments clés.

Quand vous étiez enfant, quels métiers rêviez-vous de faire ?

Je voulais être capitaine de bateau, puis réalisateur de films. J’écrivais des pièces de théâtre. Avec du recul, je pense que cela en dit long : le capitaine, c’est celui qui dirige et voit loin ; le réalisateur, celui qui crée et conçoit, rend accessible. Ce sont deux rêves que je réalise en réalité chaque jour dans mon métier aujourd’hui.

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